Coté NAC

PRÉSENTATION DU CAS

Un perroquet gris du Gabon (Psittacus erithacus) de sexe inconnu, âgé de 2 ans est présenté en consultation pour plaies et perte de plumes. La situation évolue depuis deux mois malgré un changement alimentaire pour une ration équilibrée sous forme de granulés, l’administration d’antibiotiques (enrofloxacine) et d’anti-inflammatoires (méloxicam) par voie systémique ainsi que l’administration de soins de plaie locaux (miel). L’oiseau consommait avant l’apparition des signes cliniques une alimentation constituée exclusivement d’un mélange de graines. Il vit avec une perruche à collier en bonne santé. 

Les fientes présentes dans le transporteur sont d’apparence normale. A l’examen physique, l’oiseau est calme mais alerte et réactif. Le plumage est d’apparence sombre et graisseux. La peau présente des ulcérations sur la face caudale de l’aile droite et la région axillaire droite (Fig. 1, A) ainsi que des desquamations généralisées (Fig. 1, B) et des pertes de plumes sur le cou et en arrière des mandibules.

Par le Dr ZOLLER, Résident du Collège Européen de Médecine Zoologique Vétérinaire (ECZM)

Un bilan sanguin biochimique, une analyse des fientes et des radiographies du corps entier sont réalisées et ne révèlent aucune anomalie significative. La numération-formule sanguine révèle une anémie légère prioritairement d’origine inflammatoire. À l’achat, l’oiseau avait été dépisté négativement pour la chlamydiose, la polyomavirose et la circovirose.

Fig. 1 – A. Lésions ulcérative et croûteuse à l’abord caudal de l’avant-bras et de la pointe de l’aile. B. Desquamation et ulcérations cutanée en région interscapulaire.

1. Quelles sont les particularités de la peau chez les oiseaux ?

La peau des oiseaux est plus fine que celle des Mammifères hormis sur les pattes où elle est écailleuse. Elle ne contient pas de glandes sudoripares ou sébacées, à l’exception des glandes du canal auriculaire externe et de la glande uropygienne. Comme chez les Mammifères, elle est constituée d’un épiderme et d’un derme mais le tissu sous-cutané n’est significativement présent qu’en région axillaire et sur la ligne médiane ventrale.

  • L’épiderme est constitué de trois couches : germinative, intermédiaire et cornée. Il produit des graisses neutres et des phospholipides, qui rendent la peau fortement lipogénique1. Cette particularité est considérée aider à l’imperméabilisation et l’inhibition de la croissance des bactéries et des champignons.
  • Le derme contient les follicules plumeux, nerfs, neurorécepteurs, muscles, vaisseaux sanguins et dépôts graisseux.

La flore bactérienne normale chez les Gris du Gabon captifs est pauvre et constituée majoritairement de Staphylococcus sp., suivi par Corynebacterium sp. et Streptococcus sp. À noter que chez 38% (n=26) des Gris du Gabon étudiés aucune bactérie n’est identifiable par culture.

2. Quel est le syndrome affectant cet oiseau et quelles en sont les causes possibles ?

Cliniquement, cet oiseau souffre de dermatite ulcérative chronique. Il s’agit d’une affection fréquemment rencontrée chez les inséparables, les cacatoès et les gris du Gabon. Elle est le plus souvent localisée sous l’aile, dans l’aine, sur le côté du cou, le dos ou la base de la queue. Ce syndrome est caractérisé par un épaississement de la peau associé à des ulcérations et des sécrétions. Les patients manifestent généralement des signes de douleur et de prurit. Ce syndrome peut avoir de nombreuses causes incluant des causes néoplasiques (carcinome squamocellulaire, kératome, xanthome), infectieuse (dermatite bactérienne à S. aureusE. cloacae ou E. coli, mycobactériose cutanée, circovirose, polyomavirose, giardiose)3,4 ou traumatique5. Parmi les causes traumatiques des brûlures (thermique ou chimique) ou de l’automutilation sont possibles, cette dernière pouvant avoir une cause médicale (toute organopathie ou processus algique), environnementale (manque d’activité physique, taille de plume mal réalisée, exposition toxique notamment à la fumée de cigarette, carence alimentaire dont les carences en acides gras oméga 3 ou en vitamine A et E) ou comportementale6.

Lors d’automutilation, seules les zones accessibles au bec de l’oiseau sont endommagées, ce qui n’est pas le cas dans le cas présenté de sorte que cette hypothèse est réfutée. Dans notre cas l’absence d’anomalie observée avec les examens complémentaires rendent une atteinte primaire de la peau plus probable.

3. Quels sont les examens complémentaires dermatologiques réalisables au chevet de l’oiseau ?

Les examens complémentaires réalisables au chevet des oiseaux pour explorer un problème cutané incluent7,8:

  • Un examen des plumes : L’examen macroscopique et microscopique des plumes permet d’évaluer la condition globale des structures. Des ectoparasites, barres de stress et signes de trauma auto-infligés peuvent être observés. Pour améliorer les chances d’identifier des ectoparasites (par exemple des acariens du calamus) la plume peut être digérée en utilisant de l’hydroxyde de potassium. Le calamus de la plume est placé dans une solution d’hydroxyde de potassium à 10%, légèrement chauffé, centrifugé, et le sédiment est évalué au microscope. Il est également possible de réaliser une cytologie de la pulpe de la plume en récoltant des plumes en croissance et en expulsant le contenu sur une lame de microscope. La première goutte est généralement constituée de sang et devrait être éliminée. Sous le microscope et après coloration, il est possible d’observer des signes de folliculite en observant des cellules inflammatoires, bactérie, corps d’inclusion viral et éléments fongiques.
  • Un test au ruban adhésif est principalement utilisé pour identifier des levuresbactéries voire des ectoparasites, lors de lésions sèches. Une attention particulière doit être portée lors de l’interprétation des échantillons, car les débris de kératine et la poudre de plume peuvent apparaître de façon similaire à des levures.
  • Un calque cutané peut être utilisé pour identifier des levures et des bactéries lors de lésions croûtéesexsudatives et humides. Si l’obtention d’un échantillon est difficile, un coton-tige humide peut être roulé sur la lésion puis appliqué sur une lame.
  • Un raclage cutané : Une lame de scalpel peut être utilisée pour collecter un échantillon épidermique. La lame est raclée de façon répétée sur la surface de la peau jusqu’à ce que des débris soient collectés. Les débris sont ensuite placés sur une lame de microscope et évalués au microscope. Le prélèvement peut être mélangé avec de l’huile minérale et évalué directement (à la recherche d’acariens) ou étalé sur une lame et coloré (à la recherche de bactéries). Le raclage est indiqué pour le diagnostic d’acariens.

Dans notre cas, l’examen des plumes ne révèle pas d’anomalie (Fig.3) et un calque cutané montre la présence de nombreuses bactéries de type coccobacilles (Fig.3). Idéalement, une culture bactérienne ou fongique devrait être demandée. Un écouvillon superficiel de la peau peut être soumis; toutefois, ce type de prélèvement est sujet à des résultats faussés par la présence de contaminants environnementaux. Le calamus d’une plume peut également être examiné en cas de pulpite. Enfin, une biopsie tissulaire préparée aseptiquement peut être l’objet d’une culture, et représente la méthode de choix. Dans notre cas, en l’absence de diagnostic de certitude, la réalisation d’une biopsie cutanée pour analyse histopathologique est décidée.

Fig. 2 – A et B. Examen microscopique de la plume montrant la présence de barbes, barbules et crochets normaux à l’objectif x40 (A) et x100 (B). C. Calque cutané montrant la présence de nombreuses bactéries de type coccobacille.

4. Quelles sont les précautions à prendre lors de la réalisation de biopsies cutanées chez les oiseaux ?

Le patient aviaire est préparé de la même manière qu’un autre animal de compagnie. Une préparation aseptique n’est pas recommandée car elle peut interférer avec le diagnostic9, et il n’y a généralement pas besoin de retirer de plume. Les biopsies devraient inclure une région représentative de la maladie et une zone de peau saine pour donner les meilleures chances de diagnostiquer le problème10,11. Le choix de la région anatomique devrait aussi prendre en compte de ne pas endommager de follicules plumeux des rémiges primaires ou secondaires car des lésions irréversibles pourraient en résulter9. Compte-tenu de la nature fine et fragile de la peau des oiseaux, des précautions particulières doivent être prises lors du prélèvement de tissu.

Deux techniques sont décrites :

  • Des biopsies « punch » peuvent être obtenues avec un emporte-pièce à biopsie de 4 à 6 mm de diamètre. Un mouvement de rotation est appliqué sur l’emporte-pièce à biopsie dans le sens des aiguilles d’une montre puis dans le sens inverse des aiguilles d’une montre de sorte à seulement pénétrer une couche de peau. La biopsie est alors saisie avec une pince et surélevée puis une paire de petits ciseaux fins est utilisée pour retirer précautionneusement la biopsie. Une attention particulière devrait être prise lors de la rotation à ce qu’une seule couche dermique soit pénétrée, car l’application d’une force excessive peut induire des lésions à des tissus plus profond, particulièrement délétère notamment sur les ailes où certaines structures nerveuses et vasculaires qui sont superficielles12.
  • Des biopsies incisionnelles peuvent être réalisées à l’aide d’une lame de scalpel ou plus facilement avec une paire de petits ciseaux fins. Cette technique est privilégiée compte-tenu de la nature fine et délicate de la peau et du risque associé à l’utilisation d’emporte-pièce à biopsie chez ces animaux (Fig. 4).

La peau des oiseaux est fine et possède peu de tissu adipeux sous-cutané de sorte qu’elle a tendance à se rouler sur elle-même, ce qui complique la découpe et l’interprétation par le pathologiste. Pour éviter cela la biopsie peut être réalisée après avoir appliqué une bande adhésive sur la peau13, ou être épinglée sur une structure rigide (Fig. 4). Cela permet de maintenir la peau en place et aide le pathologiste à identifier facilement les couches épithéliales de surface. Dans les deux cas, les prélèvements sont placés dans des cassettes avec une solution de formaline à 10%. Le site chirurgical est fermé avec un fil de suture résorbable et en utilisant des points continus simples. Un collier élisabéthain peut être utilisé en cas d’automutilation.

Fig. 3 – A. La biopsie est réalisée sans réalisation d’une désinfection chirurgicale préalable. B. Une paire de ciseaux fins est utilisée pour réaliser une biopsie incisionnelle. C. Un point de suture est appliqué. Notez la finesse de l’épiderme. D. Apparence finale. E. Plusieurs sites sont biopsiés, en région saine (sommet du crâne) et en régions lésées. F. Les prélèvements sont épinglés sur des structures rigides (ici des morceaux d’endive) pour les maintenir à plat et faciliter l’interprétation par le pathologiste.

5. Quelle est votre approche thérapeutique et quel pronostic ?

L’analyse histologique des biopsies confirme la dermatite ulcérative chronique superficielle (DUCS) bactérienne (Fig. 5).

Fig. 4 – L’examen histologique des biopsies cutanées révèle (A) un épiderme hyperplasique (*) et un derme sous-jacent diffusément fibrosé (o). Les zones plus sévèrement affectées (B) présentent de larges zones de nécrose, avec accumulation d’une épaisse couche de fibrine mélangée à de nombreux polynucléaires hétérophiles viables et dégénérés formant des croûtes sérocellulaires (flèche continue). De larges colonies de coques bactériens sont enchâssées dans ces croûtes (flèche tiretée). Le derme montre une perte des annexes et infiltration par des macrophages, polynucléaires hétérophiles et lymphocytes (cercle tireté). Les biopsies en zone saine sont alésionnelles (non illustré). Crédit: Dr A. Nicolier (Vet Diagnostics)

Le traitement des DUCS bactériennes repose sur l’administration d’antidouleurs (méloxicam, tramadol), d’antibiotiques par voie systémique, guidée par une culture et un test de sensibilité, des soins locaux (rinçage avec de la saline stérile et désinfection avec de la chlorhexidine diluée au 1 :40 et sulfadiazine d’argent par exemple), de bandages (de type hydrolloïdes, éventuellement suturés en place pour une meilleure tenue) ainsi que la correction de tout facteur prédisposant éventuel (correction des carences alimentaires, élimination des aérosols et produits tabagiques). Un débridement chirurgical des tissus nécrotiques desséchés peut être nécessaire pour permettre le développement d’un tissu de granulation. Un collier élisabéthain est souvent nécessaire pour limiter l’automutilation et permettre la cicatrisation par seconde intention4. En cas de prurit ou agitation, des antihistaminiques et/ou benzodiazépines peuvent être utilisés à court terme14. La guérison est lente (entre 1 et 21 mois avec une médiane de 2 mois) mais obtenue dans une vaste majorité des cas. Toutefois, environ 18% des oiseaux récidivent ultérieurement de sorte que le pronostic de guérison à long terme demeure réservé4.

N.B. Des cas de S. aureus résistants à la méthicilline (SARM) ont été décrits chez plusieurs Gris du Gabon souffrant de DUCS. Les propriétaires devraient être avisés du risque sanitaire que représentent ces oiseaux15,16.

Remerciements : Dr Alexandra Nicolier, DESV d’Anatomie Pathologique, Dipl. du Collège européen de Pathologie Vétérinaire, Vet Diagnostics, 14 avenue Rockfeller – 69008 Lyon

RÉFÉRENCES SÉLECTIONNÉES

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  2. Lamb S, Sobczynski A, Starks D, Sitinas N. Bacteria Isolated From the Skin of Congo African Grey Parrots (Psittacus erithacus), Budgerigars (Melopsittacus undulatus), and Cockatiels (Nymphicus hollandicus). Vol 28: SPIE; 2014.
  3. Cornelissen J, Gerlach H, Muller H, Johne R, Kubber-Heiss A. An investigation into the possible role of circo and avian polyoma virus infections in the etiology of three distinct skin and feather problems (CUD, FLD, PF) in the rose-faced lovebird (Agapornis roseicollis). Paper presented at: Proceedings of the European Committee of the Association of Avian Veterans conference 2001; Munich.
  4. Abou-Zahr T, Carrasco DC, Dvm NS, et al. Superficial Chronic Ulcerative Dermatitis (SCUD) in Psittacine Birds: Review of 11 Cases (2008-2016). J Avian Med Surg. 2018;32(1):25-33.
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  9. Rodriguez Barbon A. Ectoparasitism. In: Mayer J, Donnelly TM, eds. Clinical Veterinary Advisor. Saint Louis: W.B. Saunders; 2013:177-178.
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